Je chante un baiser

Vois comme je laisse l’espace à ma voix. Mes mots, dans le silence de la nuit, s’éparpillent sur la feuille. Ils dansent et s’agitent dans un vombrissement infini. Ils veulent prendre corps; ils prennent sens. Leur sens, ne se fait qu’à distance. La feuille et moi nous observons longuement. Ma voix s’enroule dans ma gorge et descend à mes doigts. Mes doigts sur le clavier, je tape au rythme des battements de mon coeur. Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, et ce qu’iels croient comprendre... Un monde se crée. Ce qui compte, me donner la parole, le verbe, les mots, l’espace entre les mots. Écouter les émotions qui croupissent au fond de mon ventre et les tirer vers la lumière. Faire émerger ce qui compte, ce qui s’écrit, ce qui ne se dit pas. Partager, jeter là tout ce qui me sert de voix. Tracer un chemin au travers des entrailles de mes pensées. Je me donne la parole, pour la redonner à d’autres, comme un fruit laissé à terre, prêt à féconder la terre. J’emprunte ci-et-là aux images de mes journées, aux chants des oiseaux, au bruit des feuilles, aux sourires des enfants. Je me donne la parole comme on tend la main, comme on s’autorise à pleurer, à rire, à crier. Comme on ne le fait jamais, ou bien trop peu. Comme une feuille d’or délicatement déposée sur la chaine des pensées. J’imagine un trésor... Je vois une cage à oiseaux s’ouvrir libérant ce que l’on croyait protéger. Je fais de la feuille le support de mon âme, et de mes mots, celui de toutes les âmes. Je souffle avec eux le souvenir emporté des années passées. J’articule un dessin et par ma langue déliée, je chante un baiser.


Participation au concours d’Octobre 2022 de Mag 404 - Thème: se donner la parole